Ecriture automatique
- Dorothée de Linares
- 12 janv. 2023
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 mars 2023
1952 : Adolph Knipe, un geek avant l'heure, travaillant pour une société d'ingénieurs à Londres invente une machine qui parvient à écrire des nouvelles, puis des romans, et remplace progressivement les écrivains de chair et d'os...
Il s'agit d'une nouvelle du génial Roald Dahl, "La grande grammatisatrice automatique"
Avez-vous reconnu l'ancêtre (bruyant) de ChatGPT, la solution d'Intelligence Artificielle (IA) génératrice de texte, qui fait énormément parler d'elle depuis fin novembre ?
En effet, soixante-dix ans plus tard, cette histoire n'est plus de la fiction.
Après DALL.E (expérimentée ici), OpenAI, entreprise américaine "à but lucratif plafonné" a mis ChatGPT à disposition du public. Chacun peut ainsi faire écrire des contenus à cet outil conversationnel. Il suffit de lui poser des questions, ou de lui donner des consignes en langage naturel, dans la langue que l'on veut. La réponse s'écrit sous vos yeux à l'écran. C'est bluffant et pour l'instant gratuit : si vous n'avez pas encore essayé, allez-y !
La presse et les réseaux sociaux en parlent beaucoup, et chacun y va plus ou moins amphigouriquement de sa démonstration appuyée d'exemples que cette IA est formidable, révolutionnaire, ou bien qu'elle a encore de nombreuses limites : elle consomme énormément d'énergie, les informations qu'elle donne sont très souvent fausses, et aussi datées car les dernières données datent de 2021, et elle est loin d'être exempte de stéréotypes et de biais algorithmiques.
La machine enthousiasme, elle fait peur, mais elle ne laisse guère indifférent. La ville de New York l'a même bannie de ses établissements scolaires, ce qui n'empêchera pas les élèves de l'utiliser de chez eux.
On imagine de nombreux usages, pour toutes les situation où il y a du texte à produire : outre les devoirs scolaires, dans les chatbots bien sûr, mais aussi pour écrire du code informatique, des documents techniques, du texte marketing, les points clés d'un sujet, etc etc... Combien de contenus du web sont-ils déjà produits automatiquement, sans que nous sachions les identifier ?
ChatGPT est nourrie d'un immense corpus de données qui va aller croissant, et avec quelques réglages et les retours utilisateurs, elle va encore progresser très vite. Microsoft, déjà partenaire de OpenAI pourrait prochainement investir 10 milliards de dollars dans la société.
Est-ce un danger pour les écrivains, comme l'avait imaginé Roald Dahl ?
La maturité croissante de ce type d'IA interroge l'amatrice de littérature et d'écriture que je suis, sur la différence entre la production d'un texte (cela est valable également pour la production d'image ou de musique) et la création d'une œuvre artistique originale.
Dans la nouvelle du facétieux Roald Dahl, seuls les écrivains avec le plus de talent parviennent à résister, un temps au moins, aux sirènes de l'écriture automatique qui permet de gagner de l'argent sans se fatiguer.
Dans la vraie vie, même si des romans écrits par des robots ont déjà été primés, on s'accroche à l'idée qu'il manquera toujours un petit je ne sais quoi à la machine car elle n'a pas d'émotions, ni de morale, et encore moins d'humour, caractéristiques considérées comme propres à l'humain.
Qu'en "pense" ChatGPT ?
Au boulot !
Deux domaines dans lesquels ChatGPT n'est pas à la hauteur d'un humain moyen (pour le moment) : les blagues, et l'empathie.
Pour les blagues, je vous laisse juger sur pièce ci-dessous. La situation devrait rapidement s'améliorer, d'autant plus que je ne suis pas la seule à faire ces tests un peu idiots et la machine va apprendre.
Pour ce qui concerne l'empathie, une expérience intéressante a été menée par Koko, un organisme américain de soutien psychologique entre pairs. Les personnes inscrites sur la plateforme interagissent entre elles, en étant soit aidante, soit aidée.
Dans l'expérience, certains aidants se sont eux-mêmes fait aider par GPT-3 (le" moteur" de ChatGPT) pour élaborer leurs réponses.
Résultat : ces messages assistés de l'IA, écrits plus rapidement que l'humain tout seul, ont été significativement mieux évalués que ceux écrits uniquement par les humains. En revanche, lorsqu'on informe la personne aidée que le message qu'elle lit a été en partie rédigé par une IA, ça ne marche plus du tout. L'aidé n'y croit plus. Il a besoin d'une vraie empathie humaine, et non pas du "je te comprends" d'un robot.
Comme le dit le co-fondateur de Koko, "Simulated empathy feels weird, empty." Bref, ils sont revenus au "tout humain" ; pour l'instant en tous cas, car on peut imaginer que des systèmes d'empathie artificielle se développent rapidement, on le voit déjà avec certains robots qui accompagnent des personnes âgées par exemple.
Depuis ses premiers silex, l'humain utilise des outils de plus en plus sophistiqués. Il utilise également d'autres humains qu'il met à son service d'ailleurs, y compris dans la littérature, et bien sûr se fait déjà aider de multiples machines. J'ai souvent moi-même l'impression que mon téléphone et mon ordinateur sont déjà devenus mes cerveaux d'appoint… pas vous ?
Ne peut-on pas faire le pari que cet humain, déjà "augmenté", va continuer à se transformer, à s'hybrider, au contact de son environnement, et que cela va lui permettre de pousser toujours plus loin sa créativité ?
Et pour les RH ?
Les IA conversationnelles comme Chat GPT sont prometteuses d'usages intéressants pour les RH, par exemple pour donner accès aux informations et services RH ciblés, pour les contenus de la marque employeur, et la conversation avec les candidats, pour bâtir des modules de formation…
Sur les tests que j'ai réalisés, je dois avouer que les contenus générés par l'IA ne sont pas si éloignés de ceux de la formation que je propose "Recruter sans discriminer & améliorer l'expérience candidat".
Mais je trouve quand même que ça reste général, ça manque de concret et de contexte. N'oublions pas que ma question était elle-même très large, et on pourrait pousser ChatGPT à préciser les choses.
D'ailleurs, une des compétences à développer, c'est bien de savoir poser les bonnes questions, de faire les bonnes demandes à ChatGPT.
(Ce qui ne l'empêchera pas de finir trop souvent ses réponses par un couplet "Il est important de noter que gnagnagna..." politiquement correct et bien vite agaçant... )
La vraie différence entre la machine et moi, c'est que, en tant que formatrice, j'ajoute à mes contenus de formation des jeux, de l'humour, des effets de surprise, des exercices, des échanges dans le groupe ; je vais m'adapter au groupe, répéter si besoin, expliquer autrement, pour une vraie "expérience apprenant" empathique et un ancrage des apprentissages.
Pour bénéficier de mon humanité unique, je vous conseille quand même de vite vous inscrire avant que je sois remplacée par un robot !
Bien vu Dorothée le parallèle entre hat gpt et ton accompagnement. Personnellement, je me dis que c'est à toi que je devrais demander de m'écrire mes articles Linkedin... plutôt qu'à Chat gpt 😅
Super intéressant ! A l'université, on se demande beaucoup comment réinventer nos façons d'évaluer les étudiant.es et notamment les mémoires ou autres travaux à la maison. Mais avec un peu de chance je me dis que ce sera peut-être un algorithme qui corrigera les mémoires... faits par l'algorithme justement !! Concernant l'utilisation en psychologie, l'expérience que tu décris est intéressante et je comprends ce besoin d'une vraie empathie plutôt que d'un robot qui dit "Je te comprends". L'inverse existe aussi : ma voisine qui est psy m'a dit un jour que pour certaines personnes, c'était trop difficile de parler de leurs pbs avec une vraie personne et qu'ils ne pouvaient se confier librement qu'en sachant que c'était à un robot…
Super article humain ! 😀